Valeur locative: chronique d’une relation d’amour-haine

La valeur locative est une curiosité dans le paysage fiscal suisse. Cela fait plus de 20 ans que les tentatives s’enchaînent pour l’abroger. La dernière en date semble offrir de meilleures perspectives de succès.

Pour les ressortissants étrangers, notre fameuse valeur locative peut prêter à sourire, tant elle est révélatrice de notre créativité fiscale. Habiter chez soi, dans sa propre maison, tout en étant fiscalement locataire. C’est absurde, mais c’est bien de cela dont il s’agit. La définition plus formelle de la valeur locative est la suivante: en Suisse, les propriétaires d’immobilier résidentiel à usage propre doivent déclarer la fameuse valeur locative en tant que revenu. Il s’agit d’un revenu fictif qui est ajouté au revenu effectif. Le montant correspond quasiment à ce que l’on percevrait si on louait le bien au lieu de l’utiliser pour soi. Cet impôt vaut aussi pour les résidences secondaires et les logements de vacances. Parallèlement, les frais d’entretien et les intérêts hypothécaires peuvent être déduits du revenu imposable.

La valeur locative encourage-t-elle l’endettement?

Pour évaluer les avantages et les inconvénients de cette valeur locative aimée ou haïe des Suisses, le mieux est d’analyser l’impact de son abrogation sur les propriétaires. Jusqu’à maintenant, ceux-ci étaient incités à ne pas rembourser leur prêt hypothécaire trop vite, puisque ses intérêts étaient déductibles.

Dans un régime fiscal «normal», le remboursement de la dette ne sera plus «puni». «Pour des personnes âgées, qui ont déjà remboursé leur prêt immobilier, cette abrogation est une bonne nouvelle», dit Donato Scognamiglio, CEO du CIFI. D’un côté, il n’y a plus d’imposition de la valeur locative, d’un autre côté, la déduction des intérêts payés sera exclue. Autre conséquence: si ce système ne devait plus permettre la déduction des frais d’entretien, il existe un réel danger que les propriétaires effectuent moins de rénovations. «Nous devons avant tout vérifier qu’une suppression de la déductibilité des frais d’entretien n’entraine pas un relâchement dans l’entretien des bâtiments», disait récemment le Conseiller national PLR Hans-Ulrich Bigler. C’est pourquoi il est envisageable que certains travaux d’entretien restent déductibles. Et quels seraient les perdants d’une abrogation? Essentiellement les banques. Si les propriétaires amortissent leur dette plus vite, ils n’auront plus besoin du même volume en crédits hypothécaires.

Cette initiative parlementaire sera-t-elle la bonne?

Cela fait plus de vingt ans que les tentatives d’abroger la valeur locative alimentent la vie politique helvétique. La suppression a déjà été amorcée mainte fois: par le Conseil fédéral, par le Parlement ou par des initiatives populaires, mais aucune proposition ne s’est avérée susceptible de pouvoir réunir une majorité. Aujourd’hui, une nouvelle dynamique se profile. Au printemps dernier, l’HEV Schweiz (association suisse des propriétaires fonciers) indiquait pour la première fois qu’elle ne revendiquait plus la déductibilité des intérêts de la dette et des frais d’entretien en cas de changement de système. L’abolition de la valeur locative doit se faire au prix de toutes les déductions, l’association y serait prête, selon son président Hans-Ulrich Egloff qui siège pour l’UDC au conseil national.

La commission de l’économie du Conseil national a soutenu à l’unanimité l’initiative parlementaire de sa commission sœur du Conseil des Etats. D’après celle-ci, la valeur locative sur la résidence principale est à abroger (pas sur les résidences secondaires) et ce, si possible de manière neutre pour le fisc et sans «disparité indue» entre propriétaires et locataires.

Plusieurs parlementaires bourgeois veulent certes abolir la valeur locative mais tout en conservant certaines déductions pour l’entretien du bien immobilier ou pour les intérêts hypothécaires (en particulier pour les primo accédants à la propriété). Même pour le PS, un changement de système avec déduction d’intérêts pour primo accédants à la propriété ne semble pas être tabou, comme l’indique la Conseillère nationale socialiste et présidente de la Commission de l’économie Susanne Leutenegger-Oberholzer. Une telle déduction pourrait être envisageable pour les nouveaux accédants à la propriété avec un revenu modeste pendant une période limitée. L’avenir de cette récente tentative pour un changement de système est toutefois encore complètement incertain, même si le contexte politique actuel est plus favorable que jamais pour les réformateurs-abolitionnistes. Aujourd’hui, les taux d’intérêts sont tellement bas qu’un changement de système même radical allègerait les charges des propriétaires. Tout en abaissant d’autant les ressources du fisc.

«Je pense que la valeur locative et la déduction des intérêts hypothécaires seront supprimées. Les modalités précises ne sont pas encore définies et vont donner lieu à des débats animés», dit Donato Scognamiglio. En effet, le consensus émanant de toutes les formations politiques laisse présager une solution pour bientôt.

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Michel Benedetti