Actuellement, l’énergie grise est au cœur de toutes les discussions, y compris à Berne. Le Parlement demande ainsi aux cantons de fixer des valeurs limites pour l’énergie grise. L’impact sur l’activité de construction du pays pourrait être considérable et pose de nouveaux défis au secteur. Dans cette édition de la série CIFI sur le développement durable, nous mettons en lumière les exigences posées et présentons les solutions innovantes dont dispose le marché.
La politique énergétique dans le secteur du bâtiment connaît actuellement une profonde transformation. Jusqu’à présent, l’attention politique se portait sur la réduction de la consommation d’énergie fossile dans l’exploitation des immeubles. Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent pour identifier et limiter la consommation d’énergie sur l’ensemble du cycle de vie d’un bâtiment.
Par énergie grise, on entend la consommation d’énergie pour extraire, produire, transporter, installer et évacuer les matériaux de construction. Par exemple, l’énergie dépensée pour produire une fenêtre encastrée. La majeure partie de ces dépenses d’énergie dissimulées correspond à l’utilisation de béton dans la construction. La production de ciment génère entre 500 et 600 kilogrammes par tonne en équivalent CO2. La tentative de réduire les émissions totales et d’utiliser les ressources avec parcimonie place aujourd’hui l’énergie grise dans le viseur du législateur.
Le Parlement a ainsi adopté de nouvelles prescriptions dans la session de printemps 2024 : à l’avenir, les cantons seront obligés de fixer des valeurs limites pour l’utilisation des énergies grises. C’est conforme aux projets de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie (EnDK) de prendre davantage en compte l’énergie grise dans le cadre de la révision du Modèle de prescriptions énergétiques des cantons (MoPEC) 2025. Cela a un impact considérable sur le parc immobilier et le secteur de l’immobilier, car avec 40 à 50 kWh/m2, le besoin en énergie représente environ un tiers des besoins énergétiques du cycle de vie d’un bâtiment et n’est aujourd’hui quasiment pas pris en compte par les lois sur l’énergie. Les deux tiers restants sont liés à l’exploitation du bâtiment, comme le chauffage de l’immeuble. Nous profitons donc de la décision de la Berne fédérale pour présenter les éventuels impacts et les nouvelles technologies visant à réduire l’énergie grise.
Moins de constructions, plus de rénovations
La part la plus importante d’énergie grise, et de loin, provient de l’utilisation de béton dans la construction. La fabrication de ciment consomme beaucoup d’énergie et produit des émissions de CO2 considérables. Le problème est le suivant: si un bâtiment est démoli, l’ensemble de la structure doit être remplacée. Les émissions sont donc beaucoup plus élevées que si l’immeuble est juste rénové et éventuellement agrandi.
Jusqu’à présent, seule la consommation d’énergie de l’exploitation des immeubles était régulée. Il existe donc une multitude de prescriptions de construction visant à réduire la consommation d’énergie fossile. Le MoPEC donne notamment des directives en matière d’efficacité énergétique à l’échelle de la Suisse. Plusieurs cantons comme Zurich, Bâle-Ville ou Glaris ont, quant à eux, complètement interdit l’installation de chauffages à combustibles fossiles. Les constructions de remplacement n’étaient jusqu’alors que légèrement restreintes. Des logements supplémentaires ont été créés et simultanément, le bilan énergétique du parc immobilier a été nettement réduit. Le secteur du bâtiment a ainsi réalisé la plus importante réduction de CO2 du pays. Malgré une population en forte augmentation, les émissions ont chuté de 44% depuis 1990. Avec les valeurs limites prévues pour l’énergie grise, les constructions neuves de remplacement pourraient se heurter à un problème délicat.
Les nouvelles directives s’appliquent notamment aux anciens immeubles particulièrement adaptés à des constructions de remplacement. La structure bâtie doit souvent être complètement rénovée. En même temps, le potentiel du terrain est souvent insuffisamment exploité. Des rénovations complètes sont toutefois très fastidieuses et onéreuses, alors que l’exploitation du potentiel n’est pas fondamentalement élargie. En revanche, lors de constructions de remplacement, les propriétaires ne dépendent pas des plans existants et peuvent souvent créer beaucoup plus de surface. Les nouvelles réglementations s’opposent manifestement à l’objectif d’une construction dense de logements, car elles pourraient sensiblement restreindre la création d’espace habitable dont nous avons cruellement besoin. Des augmentations et des expansions sont certes envisageables, mais seulement si le cadre juridique et la statique le permettent.
Une mise en œuvre confuse, plus de bureaucratie à prévoir
La politique n’a encore fourni aucune information précise sur la manière dont les valeurs limites seraient mesurées et contrôlées. L’énergie grise ne comprend pas uniquement les émissions lors de la fabrication, mais aussi lors du transport et de l’utilisation des machines de chantier. Elle est donc très difficile à mesurer. De nombreuses valeurs standardisées existent déjà pour beaucoup de matériaux de construction. Elles pourraient servir de base pour estimer l’énergie grise des matériaux de construction. Nous ignorons encore comment les autres émissions pourront être contrôlées. Dans tous les cas, les experts politiques de CIFI estiment que les formalités administratives dans le domaine de la construction vont être plus lourdes. Lors de la demande de construction, il se pourrait par exemple qu’une estimation de l’énergie grise et une étude énergétique approfondie soient déposées. L’ampleur réelle dépend notamment de la mise en œuvre dans les cantons. L’expérience des experts politiques de CIFI montre que nous sommes sous la menace d’un patchwork fédéral supplémentaire.
Approches innovantes
L’utilisation de bois est souvent citée comme alternative possible à l’acier et au béton dans la construction. Bien que nous serions ainsi en mesure de réduire certains aspects de l’énergie grise, il ne s’agit pas d’une alternative valable. Car même en ayant recours à une proportion élevée de bois, une fondation solide en béton est inéluctable. Des alternatives sont donc nécessaires.
Le recyclage du béton issu de la démolition n’est pas un nouveau concept. En produisant du nouveau béton, des granulés de gravats recyclés sont ajoutés, remplaçant ainsi en grande partie les matériaux classiques comme le sable et le gravier. Bien qu’une part importante des gravas puisse être réutilisée, cela impacte peu le bilan CO2 des nouvelles constructions. Il est certes possible d’économiser sur l’extraction du sable et du gravier, mais le béton recyclé contient les mêmes quantités de ciment neuf énergivore que le béton conventionnel. En outre, des quantités non-négligeables de nouvelles émissions sont également générées lors de l’évacuation et du traitement des gravats.
Pour respecter les nouvelles valeurs limites cantonales et pouvoir construire des bâtiments de remplacement, une alternative se présente : le stockage de CO2 dans le béton. C’est la promesse faite par l’entreprise Spinn-Off EPFZ Neustark SA. Cette procédure consiste à filtrer le CO2 de l’atmosphère par des installations de biogaz et lors du traitement du béton de démolition pour finalement le stocker dans des granulés. Elle présente deux avantages en matière d’énergie grise : cette variété de béton recyclé doit consommer moins de ciment et améliorer le bilan en stockant le CO2 depuis l’atmosphère. Les opportunités offertes par ces nouvelles technologies doivent cependant être considérées avec prudence, car le spin-off n’est actuellement capable de stocker qu’entre 10 et 25 kilogrammes de CO2 par mètre cube. En revanche, la production de béton génère environ 100 kilogrammes de CO2 rien que pour la fabrication du ciment.
Mais des recherches poussées sur le stockage du CO2 sont menées dans le domaine de la production de ciment. De nouvelles approches prévoient de capter les émissions générées directement à l’usine et à les injecter dans le sous-sol. Le gaz à effet de serre néfaste y serait stocké sans avoir d’impact négatif. Cette procédure améliorerait considérablement le bilan d’énergie grise du futur parc immobilier et permettrait ainsi des constructions de remplacement écologiques. Malheureusement, malgré des efforts intensifs de recherche, cette méthode n’est pas mûre techniquement pour être jugée ou produite en série.
Conclusion
Avec la révision du MoPEC, les cantons veulent traiter davantage l’énergie grise. Avec la modification de la loi sur l’énergie adoptée par le Parlement, les cantons doivent aussi fixer des valeurs limites en matière d’énergie grise. L’utilisation d’énergies grises est donc de plus en plus réglementée par l’État. Pour les propriétaires, cela implique:
- que les constructions de remplacement seront plus dures à mettre en œuvre,
- que la charge administrative des projets de construction va augmenter,
- l’émergence une fois de plus d’un patchwork réglementaire.
Nous ne savons pas encore dans quelle mesure la réglementation sera exhaustive. Nous devons nous attendre à des différences notoires entre les cantons. L’expérience montre que les cantons plus urbains adoptent des directives plus strictes dans le domaine de l’énergie. Bien que des matériaux de construction à faible émission fassent l’objet de recherches intensives, peu d’alternatives valables sont identifiées à ce jour. Le secteur de l’immobilier n’a donc pas de choix de gérer les ressources de manière plus rigoureuse.
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Moins de constructions, plus de rénovations
La part la plus importante d’énergie grise, et de loin, provient de l’utilisation de béton dans la construction. Le problème est le suivant: si un bâtiment est démoli, l’ensemble de la structure doit être remplacée. Les émissions sont donc beaucoup plus élevées que si l’immeuble est juste rénové et éventuellement agrandi.