Quo vadis résidences secondaires

Partie I

Les méandres de la politique

Avec cet article, CIFI-Quarterly présente le premier volet d’une série d’articles portant sur les conséquences de l’initiative sur les résidences secondaires. Quels effets a engendré la loi entrée en vigueur au 1er janvier 2016 ? Peut-on déjà mesurer les conséquences économiques pour les grandes régions touristiques concernées par l’application de la loi ? Y aurait-il des retombées positives ou négatives pour les marchés immobiliers locaux ? Pour cette première partie, CIFI-Quarterly a fait un état des lieux dans la commune la plus grande de Suisse en termes de superficie.

Des lits froids et des logements vides : c’est avec ces slogans que la population a pu être convaincue, en mars 2012, d’interdire la construction de nouvelles résidences secondaires dans les communes où leur proportion dépassait 20 pourcent. Les dernières données statistiques concernant les résidences secondaires proviennent, selon le DETEC, du recensement de 2000 (sic). Les champions en termes de résidences secondaires étaient, selon le recensement, les cantons des Grisons et du Valais, avec des pourcentages de résidences secondaires respectifs de 37 et 36 pourcent par rapport à l’ensemble des logements. Les cantons du Tessin et d’Obwald suivaient avec des proportions de 24 et 22 pourcent. Tout en bas de la liste figuraient les cantons de Bâle-Campagne, Argovie, Zurich et Soleure, avec des proportions nettement en dessous de 10 pourcent.

«Là où régnaient autrefois des villages typiques, de plus en plus de constructions sans âme dédiées aux résidences secondaires ont vu le jour» affirmait le comité d’initiative sur son site internet. Scuol, en Basse-Engadine, est actuellement la plus grande commune de Suisse en termes de superficie. La région touristique qui englobe Scuol, mais aussi Samnaun et le val Müstair, génère chaque année 1,3 millions de nuitées. Idéal pour une étude de terrain. La surface constructible connaît ici des limites posées par la nature. La vallée habitable est prise en étau entre des chaînes de montagne, des vastes forêts de protection font barrage aux avalanches, le parc national suisse n’est qu’à 30 kilomètres. Après le passage par un long tunnel ferroviaire qui relie Klosters à la Basse-Engadine, le visiteur arrive à Guarda, la première localité de la commune de Scuol, redimensionnée depuis la fusion de communes de 2015.

Guarda est un village de carte postale qui pour cette raison a servi de décor naturel au film suisse «Schellen-Ursli», d’après le livre pour enfants de l’écrivain Selina Chönz et de l’artiste Alois Carigiet. La petite église est l’édifice le plus haut. 161 âmes vivent ici. Les autres localités, Ardez, Sent, Ftan, Tarasp rivalisent bien sûr pour ce concours de beauté. Elles sont atteignables par le train, le car postal ou à pied en empruntant le vieux sentier d’altitude Via Engiadina, et misent sur le tourisme doux avec de nombreux logements de vacances dans du bâti ancien.

Seule la bourgade principale de Scuol offre la touche mondaine d’une destination touristique. Une large rue commerçante, un centre de wellness datant des années 90, de nombreux hôtels de toutes catégories. A la périphérie, un quartier de constructions modernes en terrasse sent les lits froids. Cependant, ni les propriétés modernes, ni les solides maisons engadinoises ne laissent transparaître le statut des occupants ou la durée d’habitation, ce qui est, en fait, l’élément déterminant pour la distinction entre résidence principale et secondaire (voir aussi le glossaire «Quelles sont les résidences secondaires ?»).

Peu de clarifications lors de la mise en œuvre de l’initiative

«Certaines localités avaient déjà largement dépassé leur part de résidences secondaires au moment de la décision populaire», indique le président de la commune de Scuol, Christian Fanzun. «Dans la localité de Vulpera, la part a dépassé une fois 60 pourcent.» De ce fait, sept ans déjà avant la votation, l’Engadine a commencé à chercher des pistes pour restreindre la construction de résidences secondaires. En 2005, en effet, les électeurs de la Haute-Engadine ont approuvé avec 72 pourcent de oui une initiative qui exigeait une réduction de la construction de résidences secondaires. Le canton des Grisons a décidé de limiter la croissance annuelle des résidences secondaires, selon les régions, à 30 ou 50% de la croissance constatée jusque-là, et a élaboré, en 2010, la «boîte à outils» «résidences principales, secondaires et hébergement touristique», en complément du plan directeur cantonal éponyme, que les communes de Scuol, Ftan et, pour partie, celles de Tarasp et Guarda ont dû appliquer.

«Pour nous, cette décision populaire a été un choc», note Christian Fanzun. «C’était le début d’une période d’incertitudes car la mise en œuvre dans la loi n’était claire pour personne.» Durant cette période d’attente de trois ans, les logements autorisés ont certes pu continuer à se construire, mais aucune nouvelle autorisation n’a été accordée. Parallèlement, Scuol ainsi que les communes encore indépendantes en 2012, ont mis tous les terrains à bâtir en zone réservée, ce qui revenait de facto à un moratoire pour les permis de construction.

Le «Groupement Suisse pour les Régions de Montagne (SAB)» s’est investi en première ligne contre l’initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires». Il a poursuivi cet engagement dans le groupe de travail mandaté pour l’élaboration de la loi sur les résidences secondaires. Le SAB représente les intérêts des membres affiliés pour les sujets touchant à l’économie, au social et à l’écologie. 23 cantons sont membres du groupement SAB, environ 700 communes ainsi que de nombreuses associations et individus. Dans une prise de position publiée en juillet 2013, le SAB déplorait qu’il n’ait pas été possible, au moment de l’élaboration du projet d’ordonnance, de clarifier «à partir de quel moment le nouvel article constitutionnel déploie tous ses effets.» De même qu’il n’a pas été possible, au sein du groupe de travail, «d’accorder les positions divergentes du Conseil fédéral, du comité de l’initiative comme des cantons et des communes.»

Le Conseil fédéral a persisté dans son interprétation, c’est à dire que l’Art 75b Cst était valable immédiatement après le jour du vote afin qu’aucune nouvelle résidence secondaire ne puisse être autorisée. La Conseillère fédérale Doris Leuthard avait déjà expliqué dans une interview le jour du vote, en mars 2012 : «L’article constitutionnel a un effet immédiat. Cela signifie que partout où ce quota de 20 pourcent est aujourd’hui déjà dépassé, vaut une interdiction de construire des résidences secondaires.»

Les cantons et les communes, et avec eux le SAB, se sont par contre appuyés sur la disposition de transition adoptée en même temps. Ils ont maintenu que les autorisations de construction pour de nouvelles résidences secondaires deviendraient nulles seulement à partir du 1er janvier 2013. Il en a résulté une explosion des demandes de permis de construire. Les communes ont enregistré près de 67000 demandes, environ un quart de plus que l’année précédente. Des milliers de demandes ont reçu l’aval des communes. Le comité de l’initiative a répondu avec tout autant d’oppositions. Pour finir, les juges lausannois ont dû trancher. Une claire majorité de la chambre a déclaré que le jour de référence était celui du vote. Mais pour les communes, la question cruciale des critères précis permettant une distinction entre résidence principale et secondaire n’était toujours pas clarifiée.

Une conclusion statistique contradictoire

«C’est une spécificité de la loi sur les résidences secondaires que de ne même pas définir les résidences secondaires, mais seulement les résidences principales ainsi que les résidences assimilées. La loi sur les résidences secondaires est construite autour des lacunes de la statistique»,  estime Thomas Egger, directeur du SAB. Les recherches menées par Quarterly ont en fait relevé que le nombre actuel de résidences secondaires à Scuol n’a encore pas été recueilli. Parmi les 4934 logements analysés pour 2014 à l’aide de la banque de données de l’OFS, la part des résidences principales se chiffre à 43%. La part des résidences secondaires «est estimée à partir de la part des résidences principales», selon Martin Vinzenz, chef suppléant de la section espaces ruraux et paysages de l’office fédéral pour le développement du territoire. Même constat dans la note «Détermination de la résidence secondaire» du DETEC : «Comme les statistiques nationales concernant la détermination précise de la part des résidences secondaires manquent, l’évaluation de la part des résidences secondaires repose bien sur une estimation.»

La déclaration suivante intéressera également les communes de montagne : «La commune peut contester l’estimation si elle prouve que la part des résidences secondaires atteint tout au plus 20%.» C’est seulement à partir de janvier 2017 que se fera le calcul des parts de résidences secondaires à partir des données du Registre fédéral des Bâtiments et des Logements (RegBL). L’office fédéral du développement territorial (ARE) a conseillé aux communes, en 2016, «d’utiliser le délai de transition pour indiquer, dans le RegBL, les logements qui, d’après la loi sur les résidences secondaires, appartiennent à la catégorie des résidences principales». Cette information pourrait ainsi être intégrée dans l’analyse statistique automatique.

Mais les communes ont encore d’autres dossiers à gérer. «De ce point de vue, ce n’est pas facile pour Scuol», dit Christian Fanzun «car nous devons unifier le règlement des constructions des six communes qui étaient indépendantes avant la fusion.» Une révision complète aurait encore nécessité une interruption de deux à trois ans. C’est pourquoi une révision limitée aux articles se référant aux résidences secondaires a été décidée. «Si tout va bien, nous pourrons mettre ce projet au vote au printemps prochain.»

Le prochain épisode de «Quo vadis résidences secondaires»
Dans l’épisode II de la série, CIFI-Quarterly examine de plus près comment l’initiative sur les résidences secondaires a affecté les secteurs de la construction et du tourisme dans les régions de montagne. Vous y découvrez également l’évolution des marchés immobiliers locaux.

Glossaire : Quelles sont les résidences secondaires ?

Principe
Selon la Loi sur les résidences secondaires (LRS), est une résidence secondaire tout logement qui n’est ni une résidence principale ni un logement assimilé à une résidence principale (Art. 2 al. 4 LRS).

Logement
Ce qu’est un logement paraît assez évident. Mais la loi est précise et définit le logement comme étant un ensemble de locaux habitables dont une cuisine (Art. 2 al. 1 LRS).

Résidence principale
Est une résidence principale un logement au moins occupé par une personne qui a déposé ses papiers dans la commune (Art. 2 al. 2 LRS).

Un logement assimilé à une résidence principale (Art. 2 al. 3 LRS)
Un logement est assimilé à une résidence principale lorsqu’il :

  • est occupé durablement pour les besoins d’une activité lucrative ou d’une formation;
  • est occupé durablement par un ménage privé qui occupe durablement un autre logement situé dans le même bâtiment;
  • est occupé durablement par des personnes non tenues de s’annoncer au contrôle des habitants (diplomates);
  • est vacant depuis deux ans au plus, habitable et proposé pour une location durable ou mis en vente (logement inoccupé);
  • est utilisé pour l’agriculture et n’est pas accessible toute l’année à des fins agricoles en raison de son altitude;
  • est utilisé par une entreprise pour l’hébergement de personnel pendant de courtes périodes;
  • est utilisé comme logement de service (hôtellerie, hôpitaux ou foyers);
  • est affecté temporairement et licitement à une autre utilisation que l’habitation.

Résidence secondaire
Pour finir, qu’est-ce qu’une résidence secondaire ? Les résidences secondaires se définissent par défaut comme des logements qui ne sont pas des résidences principales ou qui ne sont pas assimilés à des résidences principales.

Source : www.lexwiki.ch

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Michel Benedetti