Michael Loose a repris les rênes de la Direction de La Foncière

En 2021, le Conseil d’administration d’Investissements Fonciers SA a nommé Michael Loose au poste de Directeur général. Il a pris ses fonctions le 1er avril 2022, succédant à Arnaud de Jamblinne qui en a assuré la direction générale pendant 25 ans. Dans cette interview CIFI-Quarterly, Michael Loose parle de ses études à l’EPFL et de son plaisir à retrouver la Suisse romande après avoir vécu et travaillé sur quatre continents. Enfin, le nouveau Directeur explique quelle est la clef du succès du fonds de placements immobiliers La Foncière, géré par Investissements Fonciers SA, et comment il entend poursuivre cette success story.

Quarterly: Quand vous étiez jeune, vous rêviez de découvrir le monde. Ce rêve s’est-il réalisé?

Michael Loose: Je dirais que oui. Et même, un OUI majuscule: j’ai vécu et travaillé sur quatre continents. Si mon calcul est correct, j’ai pu visiter 73 pays différents jusqu’à présent, mais il me reste encore assez des régions à découvrir, comme les pays baltes et certains pays d’Afrique.

Quel est d’après vous le continent ou pays le plus dynamique?

Sans hésiter, la Chine. J’ai vécu entre 2002 et 2004 à Pékin et j’y suis retourné encore plusieurs fois entre 2018 et 2020. Il est absolument fascinant de voir comment ce pays s’est développé au cours de ces 20 dernières années. Observez les changements durant cette période, ils sont époustouflants ! Toutes les villes sont modernes, c’est devenu très propre et les infrastructures fonctionnent. Partout, vous avez des métros qui sont opérationnels mais également de très bonnes pistes cyclables. De plus, les trains à grande vitesse relient les différentes villes de manière très efficace. Je me souviens qu’à l’époque, Siemens voulait absolument décrocher le contrat de production de ces trains à grande vitesse, notamment le Transrapid, mais les Chinois ne voulaient pas vraiment mandater des entreprises étrangères. D’après ce que l’on voit aujourd’hui, il faut reconnaitre qu’ils ont eu raison. Ils ont favorisé les Joint-Ventures, ce qui a permis aux entreprises nationales d’atteindre un niveau technologique impressionnant. Toutefois, ces avancées rapides se sont parfois faites au détriment de certains principes et il est difficile d’être en accord avec les passe-droits.

Vous avez passé une partie de votre vie en Suisse, qu’est-ce qui vous attire dans ce pays?

Je me retrouve dans ce pays pour la troisième fois. Ce qui m’a toujours attiré et fasciné en Suisse, c’est l’efficacité. Tout est toujours bien organisé et structuré, les choses fonctionnent très bien. Lors de mon premier séjour en Suisse, j’ai fait un stage auprès de l’entreprise générale Geilinger SA. Mon plan initial était de faire des études à Paris, mais auparavant je voulais vivre dans une région francophone afin de mieux apprendre la langue. Je suis donc venu à Lausanne pour le stage et cela m’a tellement plu que j’y suis resté pour étudier à l’EPFL.

Bien sûr, comme partout, certaines choses peuvent être améliorées, par exemple pour moi le système fédéraliste, c’est-à-dire le partage des responsabilités entre Berne, les cantons, les communes et les autres entités qui je pense renforce d’une certaine manière la division des régions culturelles et linguistiques et génère des lenteurs, voire des blocages. Mais, globalement, je pense que la Suisse a très bien géré les dernières crises comme la pandémie et l’inflation.

Ceci dit, la taille de la Suisse joue un rôle capital à cet égard. J’ai travaillé trois ans aux CFF. Regardez l’infrastructure des transports publics, notamment leur réseau ferroviaire: il est difficile d’imaginer une telle densité dans un pays plus grand. Les CFF allient excellence et efficacité. Bien sûr, il ne faut pas négliger le fait que la Suisse investit beaucoup dans le rail: l’Espagne, la France, l’Italie et l’Allemagne ensemble dépensent annuellement moins dans leur réseau ferroviaire par habitant que la Suisse.

Au printemps dernier, vous avez succédé à Arnaud de Jamblinne au poste de CEO d’Investissements Fonciers SA. Comment avez-vous vécu la passation de pouvoir?

De toute évidence c’est un héritage imposant. Pendant 25 ans, mon prédécesseur a vraiment marqué l’entreprise et l’a menée sur le chemin de la croissance continue. Lui-même ainsi que tous les collaborateurs de la société et nos partenaires m’ont vraiment soutenu pendant la transition et la prise de la nouvelle fonction.

Arnaud de Jamblinne, dans notre dernière interview, avait mis l’accent sur le relationnel: «Beaucoup de choses se font par l’intermédiaire des personnes que vous côtoyez et les liens qui se créent sont souvent bénéfiques pour ce que l’on entreprend par la suite.» Partagez-vous ce point de vue?

Oui. Le relationnel est toujours vraiment essentiel. Par exemple, quand je suis rentré en Suisse après avoir passé quatre années au Kenya, c’est grâce à mon réseau que j’ai pu me réintégrer dans le monde professionnel ici.

Pour connaitre les clients, avez-vous fait une tournée de rendez-vous avec Arnaud de Jamblinne?

Ma prise de fonctions a eu lieu juste pendant le salon MIPIM à Cannes et c’est à cette occasion que j’ai été présenté à beaucoup de personnes différentes. Par la suite, nous avons pris des rendez-vous avec nos partenaires stratégiques et les investisseurs.

La Foncière est une référence dans le secteur immobilier depuis 1954. Quelle est la clé de ce succès?

La première clé de son succès est, à mon avis, les dates auxquelles ont été faites nos investissements. En effet, la croissance des valeurs de notre portefeuille est historique. La majorité de nos immeubles ont été acquis dans les années 1970 et 1980, donc à une période où l’on trouvait encore des objets immobiliers bien placés à un prix correct. La deuxième clé du succès est la situation de nos immeubles, localisés dans les centres des villes, toujours près de gares, toujours bien connectés et toujours très attractifs pour les locataires, avec des taux de vacance historiquement toujours très bas.

Ce sont les deux raisons de base auxquelles s’ajoute le fait que, depuis le début, nous avons adopté une stratégie défensive.

Lors de l’examen de nouveaux investissements, nous abordons toujours l’évaluation des différents critères et facteurs de manière très conservatrice. Dans ce domaine, nous avons également la chance de ne pas être soumis à une pression d’acquisition – la croissance qualitative a toujours primé sur la croissance quantitative. Également, en matière de financement, nous visons toujours un taux d’endettement plutôt faible avec une période à taux fixe raisonnable.

Finalement, un dernier point: le soin apporté à notre portefeuille. Nous nous considérons avant tout comme un propriétaire professionnel et responsable, avant d’être un gestionnaire de fonds immobilier. Au sein de la structure de direction de fonds, nous avons accumulé nombre d’expertises qui nous permettent de créer les conditions d’une véritable gestion individuelle des immeubles. Par exemple, chaque bâtiment a son propre concierge qui s’occupe de gérer tout incident ou problème. Ainsi, il ou elle peut réagir rapidement.

En ce qui concerne la rénovation des immeubles, il ne s’agit pas simplement de remplacer l’ancien par du neuf. Notre approche consiste plutôt à moderniser avec soin, que ce soit dans les rénovations ou les densifications. Nous prenons vraiment notre temps pour choisir la solution urbanistique et le concept architectural le plus adapté. Dans la réalisation nous prenons aussi en compte les fournisseurs et les matériaux locaux.

Dans le climat actuel, faut-il se montrer encore plus prudent lors de l’acquisition d’un nouvel immeuble pour le portefeuille?

Il est vrai que les prix pour quelques biens immobiliers commencent à se corriger mais dépendent encore essentiellement de leur état technique et leur situation géographique. Jusqu’à présent, se concentrer sur la valorisation de notre portefeuille existant assure un meilleur rendement que procéder à l’acquisition d’un nouvel immeuble. En d’autres termes, la qualité de rendement de La Foncière est telle que chaque acquisition peut entrainer une dilution du résultat. C’est pourquoi, nous avons peu acheté – ce qui correspond à l’explication que je vous ai donnée plus haut sur la stratégie du Fonds, très défensive. Encore une fois: si le bâtiment ne correspond pas à 100% à nos exigences d’acquisition, nous n’entrons pas en matière.

Lorsque nous avons parlé à votre prédécesseur il y a un an, aucun nuage ne pointait à l’horizon pour les investisseurs immobiliers. Aujourd’hui, nous faisons face à l’inflation, à l’augmentation des taux et aux risques de récession. Comment évaluez-vous le climat actuel sur le marché immobilier?

Je reprends les propos de Donato Scognamiglio à la dernière conférence et partage cette opinion: nous arrivons maintenant à la fin d’une période d’environ 20 ans, où l’évolution des prix n’a connu qu’une seule direction. Aujourd’hui, on observe une certaine inertie et le tassement de cette courbe. Je pense aussi que nous n’allons pas tarder à assister à une consolidation et quelques corrections des prix. Mais pour le moment, les vendeurs se fondent toujours sur les prix payés jusqu’à présent et les évaluations des immeubles ne reflètent pas encore cette tendance à la baisse. Je pense aussi qu’une telle correction ne sera pas dramatique et qu’il s’agira plutôt d’un atterrissage en douceur.

Pour un investisseur immobilier, que signifie l’inflation?

Premièrement, c’est une bonne chose que la situation se normalise. Une économie avec des taux d’intérêt négatifs et des taux d’inflation à zéro, ce n’est ni sain, ni normal. En ce qui concerne l’inflation actuelle, ce qui peut être dangereux, c’est la dynamique avec laquelle elle s’est propagée à travers le monde et ses effets sur l’économie et la consommation. On a vu l’inflation arriver, mais on a peut-être un peu fermé les yeux sur ses effets secondaires. En d’autres termes, ce qui représente un danger, c’est plutôt la vitesse à laquelle l’inflation engendre des changements. Mais encore une fois: il faut aussi mettre l’accent sur l’aspect positif de l’inflation. C’est-à-dire sur le fait que les taux d’intérêt positifs sont de retour.

Certaines voix pronostiquent le renchérissement des loyers dans les années à venir. Quel est votre avis à ce sujet?

Oui, je pense la tendance sera à une augmentation des loyers, surtout dans le commercial. Dans le résidentiel, cela dépendra du taux de référence fixé par la Confédération.

Vous avez aussi dit que la Suisse se sortait toujours bien des crises. Cette fois-ci aussi?

J’en suis convaincu. J’en veux pour preuve l’ambiance qui règne dans les discussions ici, en comparaison avec celles qui ont lieu en France, en Allemagne ou en Italie. Bien sûr, il y aura toujours des gens qui se plaignent du coût de la vie qui augmente. Mais regardez en Allemagne où pour quelques locataires dans certaines villes la partie des charges devient plus importante que le loyer lui-même. Cela signifie que c’est la classe moyenne inférieure qui est confrontée à des coûts beaucoup plus élevés, ce qui est bien différent de la situation en Suisse.

Cela va aussi relancer la discussion sur les loyers abordables.

Oui. Moi je suis absolument pour. Je répète toujours que notre société fait face à deux défis: le premier est le réchauffement climatique et le deuxième est l’inégalité sociale. Et nous, dans l’immobilier, nous sommes aussi appelés à nous pencher sur cette question sociale à notre manière. Le secteur immobilier privé doit fournir des logements à des prix abordables. En même temps, il faut comprendre nos critères, ce qui demande un dialogue plus soutenu entre le secteur privé et le secteur public. On ne va pas encore dans le même sens et il n’y a pas encore assez de dialogue. Notre portefeuille comporte des immeubles à des loyers abordables. Il n’en reste pas moins que notre entreprise doit survivre et avoir les moyens d’atteindre ses objectifs de rendement et de durabilité. Encore une fois: nous travaillons beaucoup sur la qualité, et l’assainissement écologique en fait partie intégrante car réduire les charges d’un immeuble est possible à long terme, à condition de l’assainir sans tarder.

A l’heure actuelle, la mise en œuvre des critères ESG revêt une grande importance pour le marché financier et immobilier.

C’est vrai. En réalité, cette question est au centre de mes préoccupations depuis 2008. A l’époque où j’étais chez UBS, je travaillais sur un projet où il fallait définir la stratégie de durabilité pour tous les fonds européens. Je présidais aussi le groupe de travail «Sustainable Working Group» pour les fonds immobilier UBS aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Le thème de la durabilité me tient à cœur depuis très longtemps et, à mon avis, l’immobilier y joue un rôle clé à cet égard. Au-delà des aspects techniques ou économico-financiers, les facteurs écologiques, sociaux et de gouvernance sont désormais eux aussi à intégrer.

Notre parc immobilier suisse est assez ancien, ce qui se répercute sur notre empreinte carbone. Si nous voulons donc atteindre les objectifs de la Confédération de 2030 ou 2050, il est évident nous devons mettre l’accent sur les travaux/mesures d’assainissement des immeubles. Et c’est ce que nous faisons.

La Foncière a déjà instauré divers instruments pour concrétiser les aspects de la durabilité, comme une surveillance énergétique depuis 2009, un label immobilier proposé par la société de conseils Signa-Terre, la participation au SSREI (Swiss Sustainable Real Estate Index) ainsi que la rédaction d’une charte ESG. Pourriez-vous nous expliquer brièvement ces mesures?

La première mesure est ciblée sur la consommation d’énergie, d’électricité et d’eau. Quand vous définissez des objectifs, il est très important de connaitre votre point de départ, donc de répondre à la question «où nous trouvons-nous en ce moment?». Etablir cet inventaire a été notre première tâche en 2009. Ensuite, il a fallu prendre les justes mesures énergétiques: d’une part des mesures lourdes – comme la rénovation énergétique de la façade ou le remplacement des chaudières – et d’autre part des «low hanging fruits» c’est-à-dire des mesures évidentes qui ne demandent pas trop de ressources – comme mettre en place ampoules LED et des détecteurs de présence dans les espaces communs par exemple. Sur cette base de données, nous avons planifié et budgété les travaux jusqu’en 2037 pour moderniser notre parc immobilier et répondre aux objectifs ESG pour 2030 et 2050 de la Confédération.

Avec notre partenariat avec Signa-Terre nous avons fait un bon travail sur le «E» de ESG. Lorsqu’on pense «S» dans l’immobilier, il s’agit de thèmes comme l’accessibilité des immeubles par des personnes à mobilité réduite, ou les espaces communs dans un lotissement d’habitation. Enfin, l’aspect «G» englobe des questions comme la façon de gérer les locataires, les relations avec les prestataires fournisseurs ou la transparence structurelle.

Dans cette perspective nous avons donc lancé ce benchmarking ESG en 2021. La note est secondaire, notre but est surtout de mieux connaître nos forces et faiblesses sur ces points et de redéfinir les objectifs et les priorités d’action. Il importe toutefois de rester réaliste et de trouver un bon équilibre entre investissement et efficacité. Par exemple, si l’accessibilité d’un immeuble est mal notée, c’est probablement parce que l’immeuble date des années 1930 ou 1940, où il y a encore quatre ou cinq marches à l’entrée et l’installation d’une rampe n’est peut-être pas justifiée. En résumé, notre travail ne s’arrête jamais, nous considérons l’immobilier comme une matière vivante qui nécessite une attention de tous les instants de notre quotidien.

Associate Consultant
Fabien Nussbaum