Taux de vacance: Le parc à mammouths

Il y a deux manières d’atteindre la bourgade bernoise d’Huttwil. La route cantonale a l’avantage d’être directe mais faire un détour par la campagne est plus intéressant. La route du village serpente dans une petite forêt puis se glisse dans le paysage vallonné si typique de l’Emmental. Les prés sont illuminés par un soleil de fin d’été. Çà et là, montent des brumes matinales. Le centre-ville d’Huttwil est tout aussi accueillant: les bacs à fleurs garnissent de part et d’autre la rue principale. Larges sourires à la boulangerie. Ici, tout respire le bon ordre. Pourtant, la petite ville rurale a un gros problème.

La cause est vite repérée. Le président de commune Walter Rohrbach conduit les visiteurs à un remblai ferroviaire. De l’autre côté des rails se dressent des complexes d’immeubles modernes. Seule note de couleur: une pancarte «A vendre» suspendue à un balcon. Quelques 200 mètres plus loin, directement contre les rails, les bâtiments sont encore un peu plus serrés les uns contre les autres. Raison pour laquelle les habitants d’Huttwil ont surnommé ce complexe «la caserne». À tort ? Certains de ces logements figuraient récemment sur un portail immobilier avec un découpage des pièces tendance, un chauffage au sol et un loyer modéré en comparaison avec les régions prisées. Celui qui cherche un rapport qualité prix comparable à Genève ou Zurich est un doux rêveur. Malgré cela, les appartements du complexes «Am Bach» (au bord de la rivière) ne trouvent pas preneurs. Six mois de loyer sont d’emblée offerts à celui qui signe un bail pour trois ans.

«Huttwil compte 300 logements vides“ précise le président de commune Walter Rohrbach. Le taux de vacance atteint 15%. «Dans certains immeubles locatifs, le taux monte à 20 voire à 50 pourcent». La Berner Zeitung relatait l’année dernière la mésaventure d’un architecte qui avait mis sur le marché deux immeubles locatifs en 2014 pour finalement les céder après trois ans, toujours inhabités, à un investisseur institutionnel. Maigre consolation: le cas d’Huttwil n’est pas unique. C’est dans toutes les zones périphériques du pays que progressent ces poches où l’immobilier affiche un taux de vacance élevés (voir carte interactive de l’office fédéral de la statistique «Taux de logements vacants»).

Une maison est aussi un logement

C’est en septembre que l’office fédéral de la statistique publie le dénombrement annuel des logements vacants. L’OFS calcule le rapport entre les logements vides (au 1er juin) et l’ensemble des logements existants tel que recensés par la statistique des bâtiments et logements. Le chiffre atteint 1,62% pour cette année. Cela correspond à un chiffre absolu d’environ 73’000 logements vides. Mais ce taux est-il pertinent pour l’immobilier de rapport? Ce chiffre comprend en effet aussi toutes les villas. Il y en a environ un million de villas en Suisse pour un demi-million d’immeubles de rapport. On peut supposer qu’il y a beaucoup moins de villas vacantes que d’appartements puisque l’achat d’une villa est en Suisse souvent le projet d’une vie. La ville de Zurich compte seulement 7 villas vides selon le dernier dénombrement. Le taux de vacance pour les appartements locatifs serait ainsi nettement plus élevé si l’on comparait les pommes avec les pommes, sans y ajouter des poires.

L’augmentation indéniable du taux de vacance depuis trois ans témoigne d’un malaise dans le secteur immobilier. L’offre dépasse la demande. Trop de logements sont arrivés sur le marché. Le président du SVIT et CEO de Livit S.A., Andreas Ingold, n’est pas surpris: «Le secteur de la construction est toujours aussi dynamique qu’il l’a été ces dernières années jusqu’à ce léger recul au dernier trimestre». Parallèlement, la demande a drastiquement baissé. Tous les ans, de 2011 à 2015, ce sont 70’000 à 80’000 immigrés qui sont venus s’installer en Suisse permettant l’absorption de 50’000 nouveaux logements. Tempi passati.

L’augmentation du taux de vacance s’explique aussi par la crise persistante de l’investissement. «Les investisseurs recherchent toujours désespérément des opportunités d’investissement», confirme Donato Scognamiglio, CEO du CIFI. À l’ère des taux d’intérêt négatifs, les investisseurs préfèrent l’immobilier à faible rendement au coupon nul des obligations. «Il est toutefois problématique que les caisses de pensions aient continué à renforcer leurs investissements dans cette valeur refuge», dit Donato Scognamiglio. Puisqu’au final, il s’agit ici de l’argent des assurés. Et qu’il ne faut pas minimiser les risques liés au marché immobilier. «Une brusque hausse des taux d’intérêts et toutes les cartes seraient complètement redistribuées.»

Que faire des invendus?

Revenons à Huttwil. Malgré les nouveaux bâtiments, le paysage est encore intact. Rien à voir avec les agglomérations densément construites qui finissent par former ce fameux magma urbain sans âme. Il est intéressant de noter que l’évolution du taux de vacance dans cette bourgade bernoise suit aussi une tendance qui pourrait bien surprendre les non-experts. Les médias par exemple se focalisent surtout sur les appartements vacants dans les nouvelles constructions. Pourtant, la vacance touche davantage les logements existants. Sur les 73’000 logements vides en Suisse, seuls 10’000 sont neufs. «Si vous avez le choix entre un logement neuf et ancien au même loyer, vous allez clairement privilégier le neuf. Nous le constatons en ville aussi bien qu’à la campagne», affirme le président du SVIT Andreas Ingold. Parmi les 37 logements d’Huttwil disponibles sur la plate-forme ImmoScout24, seuls 6 n’ont jamais été occupés. Cette préférence pour le neuf peut aussi avoir pour effet indésirable d’attirer des locataires à revenus plus faibles dans les logements anciens et donc réduire les recettes fiscales. Et autre point crucial: l’explosion démographique. Pendant longtemps, le nombre d’habitants d’Huttwil était plus ou moins donné par son code postal: 4950. Or, si tous les logements vides trouvaient des locataires, Huttwil verrait tout à coup sa population augmenter d’un tiers. Un scénario qui inquiète non seulement Walter Rohrbach mais aussi de nombreux habitants qui observent le rythme soutenu des constructions avec des sentiments mitigés.

Pour le moment, l’agréable petite ville cherche plutôt à gagner en visibilité. Une promotion des lieux est requise. Un plan marketing d’envergure est même à l’ordre du jour. Pendant la période glaciaire, la haute Argovie était une steppe libre des glaciers qui remplissaient les vallées. C’est donc ici que les mammouths ont trouvé refuge. Et que leurs restes se figèrent dans le sol. Aujourd’hui, une société viennoise a pour mission d’élaborer un méga projet. Le parc d’attraction «Mammouth et ère glaciaire – Région d’Huttwil» devrait un jour accueillir 240’000 visiteurs par an.

On peut cependant douter que ce tourisme journalier – il n’existe actuellement que l’hôtel «Petit Prince» à Huttwil – amène de nouveaux locataires. Après tout, on ne voudrait pas vraiment vivre dans le musée en plein air de Ballenberg aussi charmant soit-il. Huttwil devrait plutôt suivre des voies alternatives. Selon Donato Scognamiglio la commune réunirait les bonnes conditions pour devenir un bassin d’emploi. «Dans l’ordre, les gens priorisent d’abord l’emploi, puis le logement et enfin l’alimentaire», dit Donato Scognamiglio. Une première pierre est déjà posée. Le pionnier de l’E-bike «Flyer» a implanté ici son lieu de production. Faire d’Huttwil un nouveau centre high-tech? «Finalement, estime Donato Scognamiglio, la Silicon Valley n’était aussi au départ qu’une vallée».

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Michel Benedetti
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