Arnaud de Jamblinne quitte la direction de La Foncière après 25 ans

Après avoir assumé son poste durant plus 25 ans, Arnaud de Jamblinne a décidé de quitter la direction de La Foncière. Il cédera sa fonction à Michael Loose le 1er avril 2022. Ce dernier est actuellement Managing Director chez Prime Living Management, après avoir passé par Siemens, UBS, les CFF et Coldwell Banker. Pour CIFI-Quarterly, c’est une belle occasion de passer en revue le marché immobilier de ces 25 dernières années, avec un acteur-clé du monde des fonds de placement suisses.

CIFI-Quarterly: Après 25 ans, vous arrivez au terme de votre fonction de directeur général de La Foncière, quels ont été les «moments forts» de votre carrière?

Arnaud de Jamblinne: D’une manière générale, j’ai vécu une période extraordinaire dans l’évolution de l’immobilier suisse. Quand je suis entré en fonction comme directeur de La Foncière en 1997, la crise immobilière venait juste de se terminer. D’ailleurs, je vais vous donner un exemple qui illustre bien cette période. Lorsque nous allions voir des gens pour leur proposer d’investir dans l’immobilier, nous n’avions aucun succès. Aucun! Et quand je disais à mes amis ou à mes collègues que je travaillais dans l’immobilier, ils me regardaient parfois avec pitié et voulaient me proposer un emploi dans les banques. L’immobilier a donc grandement gagné en intérêt durant ces années.

Autrement, l’évolution démographique en Suisse a aussi été très marquante. Nous sommes actuellement 8,7 millions d’habitants, alors que lorsque j’ai commencé en mai 1997, nous étions tout juste 7 millions. Ce qui veut dire qu’il a fallu construire énormément de nouveaux logements, donnant ainsi un nouvel élan à l’immobilier résidentiel.

Mais avec le recul, ce qui me frappe avant tout, c’est la grande résilience de l’économie suisse. Elle rebondit toujours très vite. Pensez donc à la dernière grande crise financière de 2008 ou même à la période récente de la pandémie.

Vous aviez déjà entretenu des relations avec les représentants du CIFI lors de votre entrée en fonction?

Oui, bien sûr. Le CIFI a été fondé dans la même période, je crois. Mais je connaissais déjà certaines personnes avant la constitution de la société, comme les professeurs Bender ou Hoesli. Plus tard, j’ai aussi fait la connaissance de M. Sormani et de M. Scognamiglio. Aujourd’hui, le CIFI est un partenaire incontournable pour La Foncière. Nous sommes très heureux de travailler étroitement avec Mme Montagner et M. Sormani, qui sont nos experts de l’évaluation immobilière.

Quels sont les facteurs-clés de succès dans la gestion d’un fonds immobilier?

Dans ce segment, il faut être très attentif au versement régulier des loyers, car nous voulons à tout prix éviter la vacance dans un immeuble et atteindre un taux d’occupation maximal. Un mois de loyer impayé, c’est 8 % du revenu brut qui disparaît et que vous ne pouvez pas récupérer. Il faut également proposer une offre qui répond aux attentes de la population, en évitant, par exemple, de proposer des biens de luxe dans un quartier où ce besoin n’existe pas.

Hormis l’aspect financier, il ne faut pas oublier le relationnel: beaucoup de choses se font par l’intermédiaire des personnes que vous côtoyez et les liens qui se créent sont souvent bénéfiques pour ce que l’on entreprend par la suite. Au cours des deux dernières années, ces contacts se sont malheureusement appauvris à cause des restrictions liées à la pandémie.

Est-ce que le fait d’avoir un faible taux de vacance est aussi le fruit d’une bonne politique d’investissement?

Oui, effectivement. Notre stratégie vise à investir principalement dans des immeubles résidentiels locatifs situés dans les grandes villes de la Suisse romande. Elle nous permet de perdurer dans les phases de boom, mais aussi dans les phases de récession. Nos investisseurs sont principalement des caisses de pension qui attendent de nous une vision à long terme et un revenu qui reste stable. La difficulté pour nous est de ne pas se laisser distraire par d’autres opportunités qui n’entrent pas dans notre objectif en tant que fonds immobilier.

Pourtant, beaucoup d’investisseurs ont investi dans la périphérie et doivent maintenant faire face à des taux de vacances relativement élevés.

Je dirais que les besoins sont très différents dans la branche. En tant que fonds immobilier, nous n’avons pas d’argent frais qui arrive en continu, contrairement à une assurance ou à une caisse de pension. Nous ne sommes donc pas confrontés à cette obligation d’investir à tout prix. N’oublions pas que ces acteurs n’ont souvent pas le choix, car les taux d’intérêt négatifs ou un peu plus de zéro ne sont pas vraiment des alternatives viables. Lors du Congrès romand CIFI en novembre dernier, le professeur d’économie, Stéphane Garelli relevait encore à quel point il est incompréhensible que l’on applique des taux négatifs sur des capitaux suisses. Endiguer la hausse du franc suisse est une chose, mais pénaliser les caisses de pension en est une autre. Je redoute un peu le jour où un retournement de situation se produira.

Quels sont les critères pour acquérir un nouvel actif pour votre fonds immobilier?

Simplement, je dirais que l’important est d’apporter un plus à La Foncière. L’immeuble doit présenter des perspectives de croissance très intéressantes. En ce moment, il nous est difficile de trouver des acquisitions qui correspondent à nos critères, car le marché est en effervescence et nos compétiteurs sont souvent prêts à payer plus que nous.

Est-ce que la réglementation croissante et plus complexe représente un défi pour La Foncière?

Absolument, on m’a déjà demandé quel était le défi majeur et j’ai cité l’emprise de l’administration sur la vie économique en général et sur l’immobilier en particulier. Je vous donne un exemple: lorsque j’ai commencé en tant que directeur de La Foncière en 1997, il y avait un règlement de quatre pages qui expliquait ce que vous deviez faire, où vous deviez le faire et combien vous étiez payés pour le faire. Aujourd’hui, le même règlement comporte 40 pages! Quand vous lisez trois ou quatre pages, vous vous souvenez de ce que vous avez lu, mais quand vous lisez quarante pages, à supposer que vous les lisiez, vous ne pouvez pas retenir tout le contenu.

Prenez le cas de la réglementation en matière d’environnement. Nous sommes responsables de l’isolation d’un immeuble et le règlement prescrit, par exemple, un isolant de 24 centimètres. Alors que faites-vous si vous n’avez que 18 centimètres jusqu’au bord de la parcelle? Vous choisissez un isolant encore plus performant pour respecter cette distance, mais tout cela est à votre charge!

Autre exemple: vous devez remplacer le chauffage à mazout d’ici 30 ans. Mais avec quoi? Mettez des panneaux solaires et vous aurez immédiatement quelqu’un qui s’y oppose à cause de l’esthétique du bâtiment ou encore de la protection du patrimoine. Vous savez, le problème, c’est que les gens ne semblent pas se parler entre eux et qu’il y a beaucoup de contradictions dans la réglementation actuelle. L’énergie est notre priorité depuis déjà 10 ans. Nous n’attendons pas que des normes soient fixées pour avoir une attitude écologique, qu’il s’agisse de passer du chauffage au mazout au chauffage au gaz, de double vitrage ou d’isolation périphérique. Nous avons adopté le programme éco21 pour tous les éclairages des communs et expliquons à chaque locataire le bon comportement à suivre en matière d’usage de l’eau, de l’électricité et du chauffage.

La Foncière doit-elle aussi lutter contre une image négative que les associations de locataires projettent parfois, c’est-à-dire celle du mauvais investisseur et du pauvre locataire?

Oui, mais vous savez, vous ne lirez jamais dans les journaux qu’un train est arrivé à l’heure. Les mauvaises nouvelles sont beaucoup plus intéressantes que les bonnes. Pour prendre un exemple récent, nous avons dû vider un immeuble à Genève et nous avons pu reloger l’ensemble des 24 locataires, dans la même ville, et seulement en trois mois, ceci notamment grâce à nos bonnes relations avec les régies. Mais vous ne trouverez jamais ce genre d’histoire dans la presse.

Avez-vous des conseils à donner à votre successeur?

Non pas vraiment, sauf s’il me le demande. Sinon, c’est à lui de trouver sa voie. Je lui transmets simplement un outil exceptionnel ou, en d’autres termes, une petite voiture de course qui fonctionne à merveille et qui a enregistré de très bonnes, voire de spectaculaires performances jusqu’ici. À lui de faire en sorte que ça marche aussi bien qu’avant.

Votre contact média
Michel Benedetti